(Essais Lesanu)
Dans un récent discours émouvant devant le Parlement, le Premier ministre Abiy a proclamé avec assurance l’immense pouvoir de son gouvernement, déclarant qu’aucune opposition ne pourrait saper son autorité. Cette affirmation audacieuse a non seulement déclenché une vague de discours politique, mais invite également à une réflexion sur la nature cyclique du pouvoir dans l’histoire. Le discours, plein de nuances d’invincibilité, résonne avec un écho familier du passé, rappelant la nature souvent illusoire du pouvoir absolu.
La rhétorique du Premier ministre Abiy, soulignant la position inattaquable du gouvernement, reflète un modèle historique observé dans diverses formes de gouvernance. Ce modèle se caractérise par le fait que les dirigeants perçoivent leur règne comme insensible aux contestations, ce qui conduit souvent à une déconnexion avec les réalités de leur règne. La comparaison avec Mengistu Haile Mariam est particulièrement remarquable. Comme Mengistu, la démonstration d’autorité d’Abiy face à l’opposition est une position dont l’histoire a montré à plusieurs reprises qu’elle était pleine d’excès de confiance.
Les annales de l’histoire regorgent d’exemples d’empires et de dirigeants qui croyaient en leur domination éternelle, pour ensuite prouver le contraire. Un cas classique est celui de l’Empire romain qui, malgré ses prouesses militaires et son contrôle étendu, a finalement succombé aux pressions internes et externes. Cette leçon historique souligne une vérité fondamentale : la stabilité et la longévité du pouvoir ne sont pas uniquement déterminées par la puissance militaire ou le contrôle autoritaire, mais aussi par les courants sous-jacents de la dynamique sociétale et de la gouvernance interne.
Le Printemps arabe est un exemple plus contemporain où des régimes apparemment indomptables ont fait face à leur chute non pas aux mains de puissances étrangères, mais à travers la voix et les actions collectives de leur peuple. Ces mouvements ont mis en lumière un aspect critique souvent négligé dans le discours sur le pouvoir : la force indéniable d’une population unie. Cette prise de conscience place les affirmations du Premier ministre Abiy sous un jour différent, soulignant la vulnérabilité potentielle qui accompagne la sous-estimation du pouvoir des gouvernés.
De plus, l’affirmation de l’invincibilité en matière de gouvernance conduit souvent à une voie dangereuse d’auto-illusion et d’éloignement de la population. La Révolution française en est un témoignage frappant, où l’incapacité de la monarchie à reconnaître et à répondre aux doléances du peuple a finalement conduit à sa disparition. Cet événement historique sert de récit édifiant, soulignant que la durabilité du pouvoir est intimement liée à la réactivité du gouvernement et à ses liens avec ses citoyens.
Essentiellement, le discours du Premier ministre Abiy est le reflet d’un discours plus large dans le domaine politique, où les dirigeants interprètent souvent mal l’étendue de leur pouvoir. La véritable mesure de la force d’un gouvernement ne réside pas dans sa capacité à réprimer l’opposition ou à afficher sa puissance, mais dans sa capacité à dialoguer de manière constructive avec sa population et à s’adapter à l’évolution du paysage social et politique. L’histoire a montré à maintes reprises que ceux qui font preuve d’humilité et maintiennent un lien authentique avec leurs électeurs sont ceux qui laissent un héritage durable et positif.
Dans ce même récent discours au Parlement, le Premier ministre Abiy a proclamé avec assurance l’immense pouvoir de son gouvernement, affirmant son autorité inattaquable sur toute opposition. Cependant, ce qui ressort de son discours n’est pas seulement la bravade du pouvoir, mais aussi une omission flagrante : le conflit en cours et les relations conflictuelles du gouvernement avec le peuple Amhara, en particulier le mouvement Fano.
Le mépris d’Abiy lorsqu’il mentionne les conflits impliquant la communauté Amhara et le mouvement Fano dans son discours en dit long. Cette omission peut être interprétée de deux manières : d’une part, elle représente une totale indifférence à l’égard d’un problème interne important, et d’autre part, elle apparaît comme une tentative délibérée de minimiser la gravité de la situation en l’ignorant. Un tel comportement soulève de sérieuses inquiétudes quant à l’approche du gouvernement face aux conflits internes et à la manière dont il traite les différents groupes ethniques du pays.
La situation est encore compliquée par les informations selon lesquelles les forces de défense nationale seraient dirigées contre le peuple Amhara. Ce sont précisément ces forces qui devraient protéger la nation des menaces extérieures, mais il existe des indications alarmantes selon lesquelles leur attention s’est déplacée vers la répression interne. Ce changement est particulièrement déconcertant compte tenu de l’histoire récente d’actions similaires contre les Tigréens. La nature cyclique de ces conflits, qui se propagent d’un groupe ethnique à l’autre, dresse un tableau troublant de la stratégie du gouvernement face aux dissidences internes.
De plus, l’absence de débat significatif sur ces questions au sein de ce qu’Abiy appelle son parlement « chambre d’écho » soulève de nouveaux doutes quant à l’inclusivité et à la transparence du gouvernement. Le silence notable des représentants amhara au parlement, dont beaucoup seraient emprisonnés, ajoute une autre couche d’inquiétude. Leur absence et l’apparente suppression de leurs voix sont révélatrices d’un problème plus large de répression politique et d’étouffement des voix dissidentes. L’approche actuelle du gouvernement, marquée par une combinaison de démonstrations manifestes de pouvoir et d’un silence sélectif sur les questions urgentes, est une voie précaire qui risque d’aggraver l’aliénation et les troubles.
Les leçons de l’histoire soulignent l’importance de la réactivité d’un gouvernement aux besoins de sa population et les dangers d’ignorer ou de réprimer la dissidence interne. Le véritable test de la force d’un gouvernement réside dans sa capacité à relever ces défis avec empathie, inclusivité et un véritable engagement envers le bien-être de tous ses citoyens. La situation de la communauté Amhara et du mouvement Fano est un rappel poignant des complexités et des responsabilités inhérentes à la gouvernance, ainsi que de la nécessité d’une approche plus holistique et inclusive.
En conclusion, le discours parlementaire du Premier ministre Abiy constitue un rappel poignant de la nature éphémère et souvent trompeuse du pouvoir. Les leçons de l’histoire montrent que la véritable force d’un gouvernement réside dans son alignement sur les besoins et les aspirations de sa population. Ignorer cette vérité fondamentale peut conduire à un déclin aussi rapide que l’accession au pouvoir, une leçon que le temps et l’histoire ont toujours validée.
(L’auteur de cet article peut être contacté par e-mail à contact@togolais.info)