Atrocités civiles, implication internationale par procuration et silence des progressistes occidentaux

Maria

Soudan _ Guerre Soudan _ Guerre

Auteur: Caleb Ta., (Dr.)
Chercheur indépendant en affaires politiques africaines ; Défenseur des droits de l’homme

Abstrait

La guerre civile en cours au Soudan est devenue l’une des crises humanitaires les plus dévastatrices et les plus sous-estimées du monde moderne. Depuis son déclenchement en avril 2023, le conflit entre les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (RSF) est passé d’une lutte de pouvoir nationale à une guerre par procuration à grande échelle attirant les puissances régionales et mondiales. Cet article explore les dynamiques multiformes de la guerre – ses racines idéologiques, ses dimensions sectaires et ses enchevêtrements géopolitiques – à travers une analyse critique des rapports des médias internationaux, des données humanitaires et des évaluations d’experts. Les FAS, soutenues par des États islamistes et autoritaires comme l’Égypte, l’Iran et la Turquie, et les RSF, soutenues par les réseaux des Émirats arabes unis et de la Libye, ont transformé le Soudan en un échiquier pour des ambitions régionales concurrentes. Les conséquences humanitaires du conflit sont catastrophiques : plus de 150 000 personnes ont été tuées, 12 millions de personnes déplacées et la famine s’est emparée de larges pans de la population. Les civils, en particulier les chrétiens et les minorités ethniques, continuent de subir des atrocités dans un contexte de silence international et de couverture médiatique sélective. L’article soutient que la guerre au Soudan symbolise le paysage changeant de la guerre par procuration moderne, où les rivalités idéologiques, économiques et stratégiques se croisent dans les États fragiles, créant des cycles de violence sans fin. En fin de compte, cela appelle à un changement de paradigme dans l’engagement mondial – un changement qui donne la priorité à l’autonomisation locale, au commerce transparent et à une diplomatie non exploitante – par rapport aux interventions traditionnelles qui ont historiquement exacerbé l’instabilité dans la Corne de l’Afrique.

Introduction

La guerre civile au Soudan, qui a éclaté en avril 2023, s’est considérablement intensifiée au cours des deux dernières années, avec une dernière intensification ces derniers jours. Les civils, en particulier les chrétiens, ont été spécifiquement ciblés et les rapports font état de plus de 150 000 personnes tuées et de 12 millions de déplacés, ce qui en fait la plus grande crise humanitaire actuelle au monde (Center for Preventive Action, 2025 ; Human Rights Watch, 2025). Malgré l’ampleur de la catastrophe, la réponse internationale de la part des Nations Unies (ONU), de la Cour pénale internationale (CPI), de la Cour internationale de Justice (CIJ) et même d’activistes de premier plan a été minime. Les analystes notent que les médias libéraux progressistes et les communautés militantes du monde occidental sont restés largement silencieux, un phénomène attribué à l’absence d’intérêts occidentaux ou de victimes de premier plan (Atlantic Council, 2024 ; Wilson Center, 2024).

Les factions en guerre : SAF et RSF

Le conflit se concentre autour de deux factions principales : les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (RSF). Les SAF, l’armée nationale officielle du Soudan, dominent le pays depuis le coup d’État de 2019. Liées aux Frères musulmans, les SAF sont accusées de crimes de guerre, d’entrave à la transition démocratique et de maintien de milices islamistes. Il risque également d’être tenu responsable de son rôle dans le génocide du Darfour en 2003 (Center for Preventive Action, 2025).

Les RSF, une organisation paramilitaire issue des milices Janjaweed, se présentent comme anti-islamistes mais ont été impliquées dans des nettoyages ethniques et des massacres, en particulier contre des populations non arabes. Les deux factions trouvent leurs origines dans l’appareil de sécurité soudanais du début des années 2000, mais ont divergé il y a environ deux décennies. Leur rivalité est motivée par la concurrence pour le contrôle des terres, des ressources et de la légitimité de l’État (Human Rights Watch, 2025).

Catastrophe humanitaire et ciblage des civils

Les preuves satellitaires et une surveillance indépendante, y compris l’analyse du laboratoire de recherche humanitaire de l’université de Yale (2025), confirment les meurtres systématiques, le ciblage ethnique et le recours à la violence sexuelle, en particulier à El-Fasher. Les RSF ont été accusées d’assiéger des villes – coupant la nourriture, l’eau, les médicaments et l’accès à Internet – avant de mener des attaques de masse. Des témoignages de Médecins Sans Frontières (MSF, 2025) et de BBC Arabic (2025) décrivent la séparation des hommes des femmes et des enfants aux points de contrôle, suivie d’exécutions et d’incendies de villages.

Les forces des SAF et des RSF se sont toutes deux engagées dans des violences à motivation ethnique et politique dans les régions sous leur contrôle, notamment Sennar, Gezira et certaines parties du Nord Kordofan (Protection Approaches, 2025). Ces actes peuvent constituer des crimes de guerre au regard du droit international humanitaire. Malgré des preuves accablantes, les réponses mondiales restent discrètes, reflétant un schéma plus large d’humanitarisme sélectif.

Participation étrangère et dynamique des procurations

La guerre civile au Soudan s’est transformée en un conflit régional par procuration, les deux factions bénéficiant du soutien de puissances étrangères rivales.

Soutiens des Forces armées soudanaises (SAF)

Soutiens des Forces de soutien rapide (RSF)

Dimensions géopolitiques et économiques

La situation géographique du Soudan en fait une arène centrale pour la projection du pouvoir mondial et régional. Trois ressources sous-tendent l’internationalisation du conflit : l’or, la mer Rouge et le Nil.

  • Or: Le Soudan est le troisième producteur d’Afrique et le contrôle de son commerce est devenu central pour le financement des deux factions (Atlantic Council, 2024).
  • Ports de la Mer Rouge : Le corridor de la mer Rouge, essentiel au transport maritime mondial, attire la concurrence saoudienne, émiratie, turque et russe.
  • Politique de l’eau du Nil : La dépendance de l’Égypte à l’égard des eaux du Nil explique son engagement inébranlable en faveur d’un régime soudanais aligné sur les FAS.

Cette géographie économique garantit que la paix est peu probable sans un réalignement externe. Le Soudan fonctionne donc comme un microcosme de la guerre par procuration du 21e siècleoù les intérêts idéologiques, économiques et militaires qui se chevauchent perpétuent l’instabilité.

Le silence des progressistes occidentaux

Malgré l’ampleur des souffrances, les mouvements politiques progressistes et les médias occidentaux sont restés largement indifférents. Les analystes attribuent ce silence à l’absence de victimes occidentales, à la complexité idéologique (les deux camps commettant des atrocités) et à la peur de contredire les récits dominants sur l’impérialisme et l’intervention (Atlantic Council, 2024 ; Wilson Center, 2024). Cette indignation morale sélective révèle des préjugés structurels plus profonds dans l’attention humanitaire, où les conflits impliquant des victimes africaines ou chrétiennes sans liens avec l’Occident font l’objet d’un plaidoyer ou d’un financement limité.

Continuités historiques

La fragmentation du Soudan n’est pas nouvelle. Avant la domination coloniale britannique, les chefs de guerre tribaux dominaient et les politiques post-indépendance n’ont pas réussi à créer une gouvernance cohésive. La dictature islamiste d’Omar al-Bashir (1989-2019) a institutionnalisé les hiérarchies ethniques et religieuses, ouvrant la voie à la prospérité de groupes comme les Janjaweed. Les chercheurs soulignent que la violence djihadiste et à motivation ethnique est antérieure au colonialisme, soulignant que les crises modernes du Soudan sont le résultat de militarisation indigène amplifiée par l’intervention étrangère (Memri, 2025 ; Gardien de la culture, 2025).

Implications politiques et humanitaires

Les interventions humanitaires traditionnelles – aide étrangère, sanctions et maintien de la paix de l’ONU – n’ont pas réussi à stabiliser le Soudan. Les analystes plaident en faveur de solutions pragmatiques, en mettant l’accent sur autonomisation locale, commerce transparent et diplomatie non exploitante (Approches de protection, 2025). Renforcer la gouvernance communautaire et autoriser le commerce régional sans la médiation des seigneurs de guerre peuvent offrir une alternative durable à l’interventionnisme international cyclique.

Conclusion

La guerre civile au Soudan incarne la convergence de l’idéologie, de l’économie et de la géopolitique dans le conflit contemporain. Les SAF et RSF, bien qu’acteurs nationaux, opèrent au sein d’un réseau mondial d’alliances par procuration reliant le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Eurasie. Les civils, en particulier les chrétiens et les minorités ethniques, subissent le plus gros de cette guerre, tandis que les réponses internationales restent muettes. Le conflit met en lumière la transformation de la guerre au XXIe siècle : décentralisée, axée sur le profit et politiquement niable. Pour éviter l’effondrement total du Soudan, la communauté internationale doit abandonner l’humanitarisme performatif des décennies passées et s’engager plutôt dans une diplomatie transparente et ancrée au niveau local, axée sur la reconstruction de la souveraineté à partir de la base.

Note de l’éditeur : les opinions exprimées dans l’article ne reflètent pas nécessairement celles de Togolais.info.

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